samedi 6 octobre 2012

Aux sources du fantastique




Aux sources du fantastique

Du 6 octobre au 3 novembre 2012 et du 28 novembre 2012 au 12 janvier 2013
Médiathèque Jean Lévy
32/34 rue Edouard Delesalle
59000 Lille
Salle de lecture, premier étage
    


Qu’est-ce que le fantastique ? Suivant le choix opéré pour la bibliographie Station fantastik, les Vitrines du Patrimoine de la Bibliothèque municipale de Lille ne traiteront pas de la science fiction, mais du fantastique et de la fantasy.

Pour vous y retrouver, voici 3 petites fictions.
FANTASTIQUE :
Vous venez à la Médiathèque Jean Lévy dont vous êtes un habitué. Vous voulez lire tranquillement la presse du jour au Service des Périodiques puis emprunter un roman au Service de Prêt. Vous montez le grand escalier. Aucun bruit, sauf quelques froissements de papier. Arrivé au 1er étage, vous ne voyez personne, quand soudain, un volume de l’Encyclopedia Universalis, maculé de sang, rampe vers vous. Il s’arrête à quelques pas et éructe des phalanges humaines.
Le fantastique est l’irruption, parfois gore, de l’étrange et de l’inexplicable dans la vie courante.
FANTASY :
Vous êtes un mage renommé. Vous descendez de votre monture, une licorne apprivoisée, pour vous rendre à la Grande Bibliothèque de ressources magiques. Après avoir longé le râtelier à balais des sorcières, vous pénétrez dans les lieux. Les bibliothécaires elfes et gnomes vous remettront le grimoire qui vous permettra d’enchanter le philtre que vous avez commencé à préparer.
La fantasy se déroule dans un monde différent du nôtre, volontiers médiéval, où le légendaire et le merveilleux font partie de la vie quotidienne.
SCIENCE FICTION :
Dans votre capsule spatiale au large de Vénus, vous décidez de vous connecter à la Bibliothèque terrestre de références. Vous demandez que l’on télécharge sur votre implant cérébral toutes les données techniques dont vous avez besoin pour changer de dimension, ainsi qu’une fiction à effets tactiles.
La science fiction se déroule dans un futur plus au moins proche (anticipation) et explore tous les possibles des évolutions politiques et scientifiques.


Le fantastique et la fantasy sont des genres qui nous paraissent contemporains. Mais ils sont le fruit d’un très ancien héritage : les polythéismes, perdant leur statut de religion, survivent sous différents déguisements. Les mythologies grecques et romaines se réfugient dans les romans de chevalerie. Dieux et héros grecs deviennent héros courtois et sont vêtus des lourdes armures médiévales jusqu’à ce que la Renaissance leur rende leurs drapés et leur nudité héroïque. Ils font partie de la culture classique jusqu’à aujourd’hui, sont sujets de tragédies et d’opéras pour finalement ressusciter une nouvelle fois dans les romans de fantasy. Avec les Chroniques de Tramorée, Javier Negrete fait le même travail pour l’histoire et la mythologie méditerranéenne que Tolkien l’avait fait pour le monde anglo-saxon. Il ressuscite nominativement les Dieux grecs en nous livrant une version d’anticipation de la Gigantomachie (combat des Dieux et des Géants, fils de Gaïa la Terre) dans Seigneurs de l’Olympe.

Le merveilleux d’origine païenne anime le folklore et les contes.
Les anciennes déesses deviennent les dangereuses enchanteresses qui, telles Morgane le Fay et Nimue, dans le cycle arthurien ou Armide  dans les histoires de Roland et des chevaliers de Charlemagne, détournent les preux de leurs devoirs. Mais des fées campagnardes habitent aussi de plus humbles lieux, héritières des nymphes rustiques de l’Antiquité. Elles se métamorphosent ensuite en maîtresses de la destinée ou bénéfiques fées marraines (fata). Avec l’entrée des contes dans la littérature grâce à Perrault et Madame d’Aulnoy, elles deviennent de coquettes et gracieuses créatures, elles changent de vêture et distraient la cour, personnages principaux de contes en prose et en vers. Elles sont bientôt cantonnées au domaine enfantin. Madame Leprince de Beaumont crée La belle et la Bête à des fins d’éducation morale, et 200 ans plus tard, Jean Cocteau en tire un film magique. Aujourd’hui, les fées se retrouvent dans les romans de Susanna Clarke (Les Dames de Grâce Adieu), Neil Gaiman (Stardust) et Herbie Brennan (La Guerre des fées). La féérie n’est d’ailleurs pas toujours de tout repos… et les fées ne sont pas toutes de bonnes fées.
Les romans de chevalerie du Moyen Age nourrissent l’heroic fantasy et plus particulièrement la « med fan ». La « matière de Bretagne » (histoires du Roi Arthur, des chevaliers de la Table Ronde et de l’enchanteur Merlin) forme une partie très importante des romans de chevalerie médiévaux. D’origine composite (celtique païenne et chrétienne), le thème se déploie depuis Geoffroy de Monmouth et Chrétien de Troyes, qui y intègre le premier le thème chrétien du Graal, jusqu’au déclin flamboyant du genre avec Le morte d’Arthur de Thomas Malory (qui a inspiré le film Excalibur de John Boorman). Il faudra attendre les poèmes d’Alfred Tennyson au XIXe siècle et l’engouement des artistes préraphaélites pour que ce thème ne disparaisse plus du monde de l’art et de la fiction. Marion Zimmer-Bradley renouvelle le genre avec Les Dames du Lac, et aujourd’hui on ne compte plus les romans de fantasy qui s’inspirent de l’univers arthurien.
La licorne, symbole de pureté dans les bestiaires médiévaux hante aussi de nombreux romans, elle est l’héroïne de
La Dernière Licorne de Peter Beagle.
Le dragon, ver rampant, est une figure du mal que ce soit dans la religion chrétienne ou pour les paganismes. Symbole de l’Antéchrist dans l’Apocalypse, il est le mal que combat le preux chevalier. Le chant des Nibelungen relate le combat de Siegfried contre le dragon Fafner à qui le héros arrache l’anneau maudit, qui causera sa perte. De ces mythes, Tolkien s’est inspiré pour créer le dragon Smaug le doré, et sa litière d’or et de joyaux. L’anneau ne peut que rappeler le « précieux » du Seigneur des anneaux. Wotan/Odin inspire le personnage de Gandalf, le « gris pèlerin », mais certains de ses attributs se retrouvent aussi dans la description de Sauron. Tolkien a d’ailleurs écrit La légende de Sigurd et Gudrun, qui reprend en vers l’intégrale de l’histoire des Nibelungen. Dans la fantasy contemporaine, l’image du dragon s’est domestiquée. (cf. Eragon de Christopher Pasolini et les Dragons de Nalsara  de Marie-Hélène Delval). Mais dans Rouge sang et De feu et de sang, Melvin Burgess reprend l’imaginaire des Nibelungen dans toute sa sauvagerie pré courtoise et insère la légende avec une grande fidélité dans un univers cyberpunk très impressionnant.

Mais la religion chrétienne elle-même, contrairement à ce que l’on pourrait croire, fournit des motifs à ce qui n’est pas encore appelé fantastique.
Un conte allemand du XVIe siècle relate comment le docteur Faust a signé de son sang un pacte avec le diable. Ce dernier, sous la forme du démon Méphistophélès rend à Faust sa jeunesse et lui promet l’amour d’une belle et pure jeune fille, Gretchen/Marguerite. Adapté pour le théâtre par Christopher Marlowe à la fin du XVIe siècle, cette histoire acquiert toute sa dimension avec la pièce de Goethe, composée à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles. Magie, sorcellerie, amour malheureux, sabbat de sorcières et apparitions spectrales sont les éléments de cette histoire qui n’a cessé d’inspirer musiciens (Charles Gounod, Hector Berlioz et Robert Schuman) et écrivains (de Thomas Mann à Terry Pratchett en passant par Jean Giono, Fernando Pessoa ou Mikhaïl Boulgakov). Dans sa forme primitive, l’histoire se terminait par la damnation de Faust pour servir d’exemple à ne pas suivre. Les auteurs suivants sont plus partagés quand au destin de l’âme du docteur…

Les romans gothiques du XVIIIe siècle sont la part d’ombre du Siècle des Lumières. Au fur et à mesure que les Philosophes font reculer l’obscurantisme et les superstitions, elles se réfugient dans des romans  aussi romans noirs ou frénétiques. La figure de la sorcière quitte le domaine religieux, les bûchers s’éteignent et les pactes diaboliques, les possessions et les apparitions deviennent sujet de fiction. C’était au moment de la Renaissance que sorciers et surtout sorcières étaient  pourchassés. Auparavant, les victimes des bûchers étaient les hérétiques. Une des affaires les plus célèbres de possession et de sorcellerie fut celle des Diables de Loudun (1630), qui a inspiré l’écrivain Aldous Huxley et le musicien Krzysztof Penderecki. La « chasse aux sorcières » se calme dans le courant du XVIIIe siècle et le peintre Goya renvoie dos à dos inquisiteurs et sorcières comme symboles de l’obscurantisme : cf. la gravure « le sommeil de la raison engendre des monstres ». Au XXe siècle, Jules Michelet réhabilite la figure de la Sorcière comme symbole de l’éternel féminin et elle est devenue aujourd’hui une figure essentiellement positive de la littérature. (cf. Harry Potter de J. K. Rowling et Annales et Romans du Disque-monde  de Terry Pratchett)

Le Romantisme a suscité de séduisants spectres et la fin du XIXe siècle nous a donné Dracula. Les traités de démonologie et les Dictionnaires des cas de conscience à l’usage des religieux et des confesseurs ne niaient pas le fait vampirique. Pourtant, ils récusaient les remèdes de la tradition, qui consistaient habituellement en mutilations diverses du cadavre. Seul l’exorcisme était valable pour l’Eglise. La figure du vampire devint sujet de littérature au tout début du XIXe siècle grâce à John William Polidori, secrétaire de Lord Byron. John Sheridan Le Fanu crée en Carmilla une jeune fille vampire très séduisante. Mais c’est le Dracula de Bram Stoker et son adaptation non autorisée par Murnau sous le titre de Nosferatu qui popularisent définitivement la figure du vampire. Après les Chroniques des vampires d’Anne Rice, où ceux-ci acquièrent une âme et une conscience, Twilight de Stephenie Meyer nous offre des figures vampires qui, loin d’être des prédateurs sexuels et des êtres déviants, sont chastes, fidèles et capables du grand amour.

Anges et démons, les seconds étant des anges déchus, sont une réalité spirituelle pour les 3 monothéismes. Ils ont inspiré aux peintres primitifs flamands, tels Jérôme Bosch, Dirk Bouts et Pieter Breughel, des panneaux emplis de beauté et de terreur. Après le désenchantement du XXe siècle, la religion chrétienne inspire des romans de « métaphysique fantaisie ». Dans le Livre de toutes les Heures, Hal Duncan prévoit la guerre gigantesque que se livrent les anges après le retrait de Dieu. James Morrow imagine dans la Trilogie de Jéhovah la pollution créée par la décomposition du gigantesque corps divin, long de 3 km car « Dieu est mort ». La question de la survie des Dieux est au cœur de deux des plus beaux romans de la fantasy contemporaine : Les petits Dieux de Terry Pratchett et American Gods  de Neil Gaiman.

Ghislaine Dangé (Bibliothèque municipale de Lille)

2 commentaires:

  1. Dommage que ce soit si loin pour moi ! Je serais volontiers venue vous rencontrer car j anime ce genre de conferences sur les mondes imaginaires en littérature pour tous les publics ( Je m'adapte ) je vous invite sur mon site
    Valeriajcampanile.com ou sur Facebook
    J anime une conference le 13 Octobre Dans un salon du livre a barbentane village dans le sud
    Cordialement
    Valeria Jourcin Campanile

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  2. Merci pour votre commentaire, Valeria.
    Barbentane, c'est loin aussi :-)
    cordialement

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