vendredi 13 juillet 2012

Marcel Béalu, poète et conteur fantastique



Écrivain français né en 1908 et décédé en 1993, Marcel Béalu participe, dès 1940, à l’aventure des Poètes de l’École de Rochefort (avec Bouhier, Cadou, Manoll, Bérimont…).
Ensuite, il s’en éloigne pour se rapprocher de l’esthétique érotico-onirique d’un auteur surréaliste, plus ténébreux et singulier, du nom d’André Pieyre de Mandiargues.
Ce que l’on ne sait pas toujours, c’est que Marcel Béalu, ex-chapelier-poète, devenu libraire à Paris, dans une ancienne boucherie, au 62 de la rue Vaugirard, à l’enseigne du « Pont Traversé »*, écrivit aussi des livres inquiétants, tourmentés, mêlant l’étrange et le fantastique. Livres en prose ou contes brefs remarquables et remarqués, comme autant de petits bijoux de perfection formelle, qu’il conviendrait de redécouvrir au plus vite…

Aujourd’hui encore, « on s’explique mal que ces livres proprement météoriques composés entre 1941 et 1953 aient été si peu lus » écrit Georges-Arthur Goldschmidt. Alors que ces textes fascinèrent en leur temps des lecteurs non négligeables : Max Jacob, Antonin Artaud, mais aussi Jean Paulhan et André Pieyre de Mandiargues, « nous révélant un héritier secret d'Hoffmann et de Kafka. »
Pour enfoncer le clou, ajoutons qu’au lendemain de la Guerre, Antonin Artaud  disait découvrir, dans les contes autant que dans les courts romans de Marcel Béalu (Mémoires de l'Ombre 1941; L'Expérience de la Nuit 1945 ; Journal d'un mort 1947), « un écrivain selon ses vœux  tourmenté comme lui par la cruauté d'être. »
Marcel Béalu poursuivra encore dans la même veine avec son roman L'Araignée d'eau (1948) et surtout  Contes du demi-sommeil (1960) qui regroupe l’essentiel de ses textes brefs, ciselés, d’une à trois pages à peine, mais qui suffisent à vous embarquer, à chaque fois, dans la fantasmagorie de leur auteur. Ensuite, il semble que l’inspiration de Marcel Béalu semble s’apaiser.
Tous ces livres ont été plusieurs fois réédités, notamment, chez Phébus. Ils devraient faire partie des chefs-d’œuvre incontournables de notre patrimoine littéraire.
Qui de mieux que Jean Paulhan, brillant secrétaire de rédaction des éditions Gallimard, découvreur et défricheur des talents de la nrf, pour donner un avant-goût de l’univers de Marcel Béalu en quelques lignes :

« Lire une page de Marcel Béalu, c'est pénétrer dans un pays singulier, un pays qui pourtant doit bien exister quelque part, plus haut ou plus bas que la terre, le pays de derrière la glace, ou de derrière l'eau, ou de derrière le ciel - ou de derrière nous. Il n'est pas de pays plus simple, ni plus logique, d'une logique si parfaite qu'elle rejoint la poésie. (…) On s'y sent immatériel ; pourtant il semble que le cœur y frôle toujours le fil de quelque lame. »

* La librairie existe toujours à Paris à la même adresse. Elle est tenue par Marie-José Béalu, dernière compagne du poète.
 
Contes du demi-sommeil & Journal d’un mort

Les courts récits de Marcel Béalu sont, en effet, souvent énigmatiques, leur atmosphère étrange. Le lecteur paraît flotter dans une réalité qui peut basculer, lui échapper ou déraper, à tout moment, dans le fantastique. Ces contes ne sont pas non plus dépourvus d’humour et d’ironie philosophique.
Prenons, par exemple, deux textes significatifs extraits de Contes du demi-sommeil :
Le premier intitulé « Professeurs à la boule » rappelle une fameuse scène de la série télévisée britannique « Le Prisonnier » diffusée en France en 1968 :

« Plusieurs éminents professeurs, au retour d’un congrès, rencontrèrent une boule. Elle descendait lentement la route et ils s’écartèrent pour lui livrer passage. » Les professeurs se succèdent, puis s’extasient devant les évolutions de cette mystérieuse et singulière boule de trois mètres de diamètre », jusqu’à la chute du texte qui ne défait ni notre surprise, ni le comique de la situation. La boule en lévitation, entre terre et ciel, qui intrigue la communauté des scientifiques jusqu’au crépuscule, se révèle être en fait… « un œuf d’ange ».

Le titre du second texte intitulé « Ville Volante » est déjà, à lui seul, suffisamment explicite. De quoi s’agit-il ? La nuit, dans un énorme barouf, une ville se détache soudainement du sol et s’envole pour un voyage intersidéral à la grande stupéfaction de ses habitants stoïques, laissant sur la terre un cratère comme « une tourbière nauséabonde d’où couraient, affolés, termites et scolopendres ».

À chaque récit, la minutie de la description et l’implacable logique d’horlogerie des textes de Marcel Béalu emportent l’adhésion !

Dans un autre livre, « Le Journal d’un mort », Béalu  enchaîne, au contraire, les courtes proses pour dérouler le journal intime, grinçant, d’un mort. Chaque texte  raconte  - un peu comme pour le personnage Plume d’Henri Michaux - les errements d’un  être étrange, vaporeux, suspendu, qui semble errer, malgré lui, entre le monde des morts et celui des vivants, juché sur une cheminée. Il lui arrive toutes sortes de péripéties, plus incongrues les unes que les autres, terribles ou incroyables, entre rêves et cauchemars. Si le personnage, sorte de revenant malfaisant, est doté d’étranges pouvoirs, en même temps il se retrouve souvent seul, perdu, isolé, du monde des vivants, qui lui devient même hostile à certains égards.
« J’aimais crier sauve-qui peut dans les endroits publics, casser les assiettes sur la tête des convives, m’asseoir à l’envers dans les fauteuils, introduire dans une orange creuse la flamme d’une bougie, coudre le chat dans l’édredon, enfermer mon cœur dans la soupière, faire semblant de dormir dans les tiroirs, crier oua oua oua dans les cimetières, déclouer de temps en temps une étoile et la cacher dans la main d’un enfant… Et tout ce que j’aime encore et que je ne peux pas dire ! »
Même dans ces textes poétiques, Marcel Béalu est un des seuls à avoir su réaliser cette alliance rare et précieuse entre poésie et fantastique :
Un étranger ne saurait pénétrer
Dans cette ville de cristal
Où libre et prisonnier je vacille
Flamme dans le vent
Marcel Béalu ne saurait être oublié. Ses livres en prose sont envoûtants. « Cet écrivain du secret », selon les mots  même de son biographe Yves-Alain Favre, inquiète et conduit à l’essentiel. »
Je vous invite à plonger, à votre tour, dans l’eau noire des livres « pleins de mystère, de fantastique et d’inattendu », où l’érotisme et l’onirisme de Marcel Béalu décuplent encore leur fantasmagorie.
François-Xavier Farine (Médiathèque départementale du Nord)

Bibliographie disponible :

Les messagers clandestins : contes, 2005, 13 €.
L’Araignée d’eau (bref roman), Phébus, 1994,  15,30 €.
Chemin marqué (Anthologie poétique), Rougerie, 2000, 10,98 €.
Marcel Béalu par Yves-Alain Favre et Jean-Jacques Khim
(Monographie suivie d’un choix de textes), Seghers, Coll. Poètes d’aujourd’hui n°263,  11,60 €.


Il existe un fonds Marcel Béalu qui est conservé à la Bibliothèque universitaire d’Angers comprenant des photos de ses amitiés littéraires avec Max Jacob et les poètes de l’École de Rochefort.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire