jeudi 5 juillet 2012

Hunger games - 2/2

Le renouveau du roman d’anticipation

Le renouveau du genre, symbolisé notamment par Hunger Games de Suzanne Collins, se caractérise à mon avis par plusieurs éléments :
- l’abandon d’une approche essentiellement basée sur les progrès scientifiques
- la dimension de fable universaliste des grands classiques du genre
- l’ajout d’éléments issus des récits d’aventures et de fantasy
Depuis quelques années, le roman d’anticipation pour adultes revient quelque peu sur le devant de la scène en s’appuyant sur quelques thèmes majeurs de l’actualité : écologie, géopolitique, science...
Au confluent des genres évoqués précédemment, ces  romans sont à la fois moins ambitieux d’un point de vue philosophique mais plus soucieux de réalisme.
On peut évoquer pêle-mêle les œuvres suivantes :
  • Le Fleuve des dieux d’Ian McDonald évoquant l’Inde en 2047
  • Julian : apostat, fugitif, conquérant de Robert Charles Wilson traitant de la déchéance d’une Amérique privée de ressource énergétique
  • Un paradis d'enfer de David Marusek évoquant la fin de la société de consommation
  • Royaume-désuni de James Lovegrove dans lequel il imagine la désintégration politique de la Grande-Bretagne
  •  Les diables blancs de Paul McAuley narrant les dérives de la génétique dans l’Afrique de 2040
  •  Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro adapté au cinéma sous son titre original, NeverLet Me Go, œuvre très originale s’interrogeant notamment sur les dérives du clonage.
  • 1Q84 d’Haruki Murakami, roman relativement atypique n’appartenant pas réellement à la science-fiction ; il s’agit toutefois d’un hommage direct à 1984 de George Orwell
Bien que les arguments précédents tiennent la route, le renouveau du roman d’anticipation reste incontestablement lié à l’explosion de la littérature dite pour adolescents.

La science-fiction étant un genre qui se veut relativement réaliste, exception faite de la space fantasy, il est en général difficile d’y inclure l’un des archétypes qui fonctionne le mieux dans les littératures de l’imaginaire : celui du héros qui par ses seules actions peut modifier le destin de l’humanité. Dans le cadre des romans jeunesse, l’envie d’inclure dans des œuvres d’essences dystopiques des personnages héroïques, susceptibles d’influencer positivement le destin des sociétés, devient une évidence.
On voit donc naître des univers originaux, voir antinomiques, puisque la dystopie se teinte d’optimisme, les personnages se découvrant la capacité de mettre fin à la tyrannie.

Comme les titres évoqués précédemment issus de la littérature pour adultes, ces romans pour ados ne se concentrent le plus souvent que sur un aspect bien précis d’une société totalitaire.
Ainsi, dans Hunger Games, l’univers dystopique est relativement riche avec une Amérique  post-apocalyptique divisé en 12 districts chargés de fournir les différentes productions destinées à la capitale : Capitole. Le cœur de l’intrigue se concentre sur les hunger games (les jeux de la faim) institués à la suite de la révolte de l’ancien 13ème district, et qui s’inspirent du mythe du Minotaure (des jeunes gens issus des 12 districts s’affrontent dans un combat à mort, le vainqueur se voyant offrir la possibilité de vivre dans la capitale).
Deux idées sont ainsi principalement développées, à la fois la rébellion contre la dictature, thème qui n’est pas forcement lié à l’anticipation, et la critique d’une dérive de notre société poussée à son paroxysme (ici les excès de la société du spectacle et notamment de la téléréalité).

Cette double approche de la dystopie se retrouve dans plusieurs œuvres que les bibliothécaires et autres libraires ont découvert et qui, sans atteindre le statut de phénomène littéraire que l’on peut attribuer à Hunger Games, ont parfaitement rencontré leur public.
  • La déclaration de Gemma Malley ainsi que les autres œuvres de cet auteur qui évoquent les dérives d’un monde tourné vers la quête de l’immortalité à tout prix.
  • Birth marked de Caragh M.O'brien, une société dystopique née d’une catastrophe climatique.
  • Uglies de Scott Westerfeld décrivant une société ou la beauté définie la place dans la société
  • Promise d’Ally Condie dans lequel l’héroïne décide d’aller à l’encontre des règles d’un monde qui dicte les moindres événements de la vie.
  • Divergent de Veronica Roth sur le thème assez proche d’une société divisée en factions auxquelles on appartient en fonction de tests effectués à la fin de l’adolescence.
  • Oceania d’Hélène Montardre, fable écologique teintée de fantastique sur un monde submergé par ses océans.
  • Autre-monde de Maxime Chattam, roman à la lisière du fantastique et de l’anticipation, hommage lointain à Sa Majesté des mouches de William Golding.
  • Et enfin Incarceron de Catherine Fisher, roman relativement original évoquant un monde ayant fait le choix de rester figé dans une reconstitution du 18ème siècle et dans laquelle la technologie sert uniquement dans la prison d’incarceron. Cette série qui mélange la dystopie et la science-fiction pourrait bien être le prochain phénomène du genre puisque la 20th Century Fox en a acquis les droits.
On peut conclure en citant deux romans plus adultes susceptibles d’intéresser les amateurs d’Hunger Games :
  •  Wang de Pierre Bordage, dans lequel l’Europe et l’Amérique utilisent des immigrés pour mettre en scène d’immenses jeux de rôles : des jeux uchroniques dans lesquels les protagonistes se combattent jusqu'à la mort.
  •  Battle royale de Koshun Takami dans lequel des lycéens japonais doivent s’affronter sur une île jusqu'à ce qu’il ne reste qu’un seul survivant.



Par nature les romans d’anticipation sont en phase avec leur époque. 1984, Le meilleur des mondes ou Fahrenheit 451 sont une réaction au totalitarisme et le cyberpunk naît avec le développement de l’informatique, s’interrogeant sur la nature de l’humain : conservons-nous notre humanité si l’on améliore l’homme par la  technologie, et dans le même temps les « Intelligences artificielles » peuvent elles devenir de nouvelles formes d’humanité ?
La société actuelle est relativement paradoxale en ce sens qu’elle porte en elle des dérives qui pourraient la condamner à plus ou moins brève échéance, déshumanisation de l’économie, volonté exacerbée d’accéder à la notoriété, mais dans le même temps  nous vivons une époque qui peut être considérée comme relativement bénie : pas de conflits mondiaux, allongement de l’espérance de vie…
Le renouveau de l’anticipation est à l’image de ce paradoxe, désireux de témoigner des dérives de notre société mais dans le même temps soucieux de montrer, notamment aux jeunes générations, qu’un avenir plus optimiste dépend en partie de nos actions à venir.


Damien Moutaux et Tristan Wallet (Médiathèque La Corderie, Marcq-en-Baroeul)


 



1 commentaire:

  1. Sur la puissance politique de la science-fiction, voir aussi : http://yannickrumpala.files.wordpress.com/2008/08/rumpala-ce-que-la-science-fiction-pourrait-apporter-c3a0-la-pensc3a9e-politique1.pdf

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