mercredi 9 mai 2012

Eragon et l’héritage de Tolkien remis en cause 1/3


S’il n’est pas à proprement parlé le fondateur du genre - l’heroic fantasy*, que les spécialistes attribuent plutôt à Robert E. Howard voire à Edgar Rice Burroughs - John Ronald Reuel Tolkien n’en est pas moins la source d’influence majeure pour les auteurs contemporains, notamment pour avoir fixé dans le marbre les caractéristiques de nombreuses créatures qui peuplent ses récits : trolls, elfes et autres magiciens.
Il est toutefois une créature majeure du genre, le dragon, qui a échappé, au moins partiellement, à l’héritage de Tolkien.
Aussi moderne soit-il, l’auteur du Seigneur des anneaux n’en est pas moins né au XIXe siècle et ses références sont de ce fait puisées à la fois dans les mythologies nordique et germanique, mais également dans le christianisme.
Cette double influence fait que les dragons de la terre du milieu sont avant tout des êtres maléfiques dans la lignée des créatures combattues par Siegfried, Beowulf ou les saints sauroctones**.
Cependant, l’image des dragons dans la fantasy va évoluer rapidement, et ce pour deux raisons :
- l’impact de la mythologie orientale dans laquelle les dragons, symboles des forces de la nature, ne sont pas forcément maléfiques
- l’influence des jeux de rôles qui vont faire de ces créatures des personnages de premier rang.

Ces évolutions vont faire qu’actuellement on peut distinguer trois grands types de dragons dans les récits de fantasy : des dragons maléfiques, des dragons servant de montures et de compagnons aux héros et enfin, de façon moins fréquente, des dragons assimilés à des puissances supérieures, avatars des divinités ou des forces de la nature.
Il ne s’agit pas ici de dresser un catalogue exhaustif des dragons dans les récits de fantasy contemporains, mais d’illustrer par quelques exemples les hypothèses évoquées ci-dessus.

Les dragons maléfiques :             

- S’il s’est dirigé par la suite vers une fantasy historique plus originale, Guy Gavriel Kay, écrivain canadien ayant travaillé avec Christopher Tolkien sur l’édition posthume du Silmarillion, a débuté sa carrière d’auteur avec la Tapisserie de Fionavar, hommage direct au Seigneur des anneaux dans lequel Rakoth Maugrim, dieu déchu du mal, est accompagné lors de la bataille finale par un dragon maléfique inspiré par Glaurung
.
- Dans La légende de Drizzt de Robert Anthony Salvatore issu de l’univers des Royaumes oubliés, on retrouve l’une des approches des dragons dans les jeux de rôles, celui de gardien de trésors qui doit être vaincu par le héros pour s’approprier ses richesses. Drizzt y trouvera l’un des cimeterres magiques qui l’accompagneront tout au long de ses aventures.

Dans les deux exemples précités, les dragons ne jouent qu’un rôle mineur dans l’histoire, mais il existe d’autres récits dans lesquels ils apparaissent en tant que race comme les antagonistes principaux des héros.

- dans Les chroniques d'obsidienne de Lawrence Watt-Evans, on suit les aventures d’un jeune garçon dont la famille est massacrée par les dragons et qui va vouer le reste de son existence à sa vengeance.

- dans La Geste des Chevaliers Dragons, bande dessinée scénarisée par Ange, l’apparition de ces créatures génère un mal qui transforme les humains en monstres sauvages ; les dragons sont alors combattus par un ordre de chevaliers-dragons formé de guerrières vierges.

- on peut évoquer également une autre série, plus complexe : L'âge des dragons de James Maxey, dans laquelle les hommes sont devenus les serviteurs des dragons et tentent de regagner leur liberté. Celle-ci s’éloigne néanmoins de la vision de Tolkien puisqu’elle s’interroge plus sur l’asservissement d’une population par une autre, donnant à voir des dragons ambigus, certains étant favorables aux humains alors que d’autres souhaitent l’extinction totale de l’humanité.

- enfin une série qui servira de lien avec le thème suivant, Les rois-dragons de Stephen Deas dans laquelle les dragons, désormais asservis, servent de montures aux chevaliers. La série narre leur réveil et le risque qu’il fait courir à l’humanité.

(à suivre)

Damien Moutaux (Médiathèque La Corderie Marcq-en-Baroeul)

*heroic fantasy, genre dérivé du merveilleux dans lequel les récits se déroulent dans un lieu totalement imaginaire où le surnaturel est la norme.
** saints sauroctones, saints attachés à un lieu, qu'ils ont christianisé en tuant le dragon qui terrorisait la population

2 commentaires:

  1. Tolkien était catholique, c'est vrai, et il tendait à défendre les traditions et la conception du dragon comme expression du mal, qui est présente aussi dans l'iconographie chrétienne, pas seulement dans la mythologie germanique. Il restait tributaire d'une vision manichéenne. Mais à mon avis, il faut prendre garde à ce que ceux qui se réclament des traditions orientales tombent souvent dans une forme de fatras dénué de sens et de substance, car ils prennent de l'Orient seulement la superficie. Il faudra voir à l'usure si les successeurs de Tolkien seront parvenus à changer l'image des dragons. L'écrivain principal qui a essayé de le faire est à mon avis Ursula Le Guin dans "Terremer", qui est un très beau livre, mais quand même pas à la mesure de ceux de Tolkien.

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    1. Merci, Rémi, pour votre commentaire et l'intérêt que vous portez à notre blog

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